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Les sorcières du nabi ésotérique

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Une peinture de Paul Ranson annonçant une prochaine exposition au musée d'Orsay en 2013, vient de me fournir opportunément un thème pour mon billet d'Halloween.


La Sorcière au chat noir
Paul Ranson - 1893
Musée d'Orsay (notice)


C'est par l'antique fête de Samain (d'où est issue celle d'Halloween) que les druides marquaient le début de l'année celtique s'ouvrant en même temps que la "saison sombre". Le calendrier celtique ne comprenait que deux saisons, la saison claire qui commençait le 1er Mai et la saison sombre qui démarrait le 1er Novembre.

Parce qu'elle n'appartient ni à l'année qui se termine, ni à celle qui commence, la nuit de Samain est le moment privilégié permettant aux humains de communiquer avec le Sid, cet autre monde semblable à un paradis terrestre dont les occupants mènent une vie de joies et de délices dans un éternel âge d'or, sans aucune contrainte de temps ni d'espace.


Sorcières aux saturnales
Paul Ranson - 1891
(collection privée)

Dans la Rome antique, les Saturnalesétaient l'équivalent des fêtes celtiques de Samain. Au fil du temps, Saturne fut assimilé au dieu cornu des religions païennes et de là, au sabbat des sorcières.

***********

Dès ses premiers tableaux, Paul Ranson montra un certain goût pour l'ésotérisme.

Vanité aux souris
Paul Ranson - 1885
Musée des Beaux-Arts de Limoges
Les deux objets figurant au premier plan de la vanité ci-dessus m'ont beaucoup intriguée.
J'ai trouvé ce dont il s'agit pour celui de droite.
Mais pas pour celui de gauche,
s'agirait-il d'un encrier ?...

Et vous, avez-vous reconnu celui de droite ?
(La solution pour l'objet de droite sera donnée ultérieurement, preuves à l'appui)



Avec Maurice Denis (le théoricien du groupe) et son ami Paul Sérusier, Paul Ranson fut l'un des membres fondateurs du cénacle des Nabis. Le nom de ce petit groupe de peintres provient d'un terme hébreux signifiant prophète.

Les Nabis se voulaient (et furent) les prophètesd'une nouvelle manière de peindre. Paul Ranson fit partie de ceux qui annoncèrent l'Art Nouveau.

Portrait de Paul Ranson en tenue nabique
Paul Sérusier - 1890
Musée d'Orsay (lire la notice)

Les Nabis se retrouvaient régulièrement dans l’atelier de Paul Ranson, qu'ils surnommaient le temple. Lors de ces réunions plus ou moins occultes, ils étaient accueillis par France Rousseau-Ranson, cousine et épouse de Paul, dite "La Lumière du Temple" en hommage à son intelligence.

Madame Ranson secondait aussi son époux dans ses travaux, non seulement en posant pour lui, mais également en mettant la main à la pâte l'aiguille pour la réalisation de tapisseries, telle que Femmes en blanc.

Madame Ranson au chat
Maurice Denis - 1892
Musée Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye (lire la notice)


Le talent de France Ranson ne se limitait pas aux travaux d'aiguilles. C'est elle qui assura durant plus de vingt ans la continuation de l'Académie Ranson, l'école d'Art fondée par Paul en 1908, juste avant qu'il ne disparaisse prématurément l'année suivante.

C'est elle aussi que l'on retrouve sur un grand nombre de peintures de son époux, la femme debout  accoudée à une balustrade ci-dessous, par exemple.

Femme debout contre une balustrade avec un caniche
Paul Ranson - 1895
Metropolitan Museum of Art, New York (notice)


L'attrait initial de Ranson pour l'ésotérisme évolua rapidement vers l'occultisme, engendrant de nombreuses représentations de sorcières tout au long de son œuvre.

Ce thème récurant pourrait en partie s'expliquer par l'absence d'image féminine bienveillante durant son enfance, du fait que Paul Ranson avait eu le malheur de perdre sa mère peu après sa naissance.


Les Sorcières autour du Feu
Paul Ranson - 1891
Musée Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye


La femme occupe une place centrale dans l'œuvre de Paul Ranson. Elle est souvent représentée dans des situations ou des attitudes étranges, entourée d'attributs ou de signes qui évoquent l'univers des servantes de la Déesse-Mère, les chamanes, sibylles et sorcières.


La Baigneuse bleue
Paul Ranson - 1891
Collection Alain Lesieutre

À première vue cette femme à sa toilette n'a pas l'air d'une sorcière. Cependant, en l'observant de plus près, vous remarquerez que sa posture (jambes croisées et bras également croisés, les mains tenant les pieds) n'a rien de naturelle. Ne serait-elle pas en train d'accomplir un rituel magique ?...

Il existe deux versions de la baigneuse ci-dessus. La seconde est légèrement différente, la disposition de l'éponge et du savon est inversée et une frise occupe le bas du tableau. Elle a pour titre Lustral et elle se trouve au musée d'Orsay (voir le tableau et lire le commentaire).


Sorcière dans son cercle
Paul Ranson - 1892
Aquarelle typographique (collection privée)

Chat, corbeau, serpent, coq... il ne manque que l'araignée, le crapaud, la chouette (ou le hibou) et la chauve-souris pour que toute la ménagerie attribuée aux sorcières soit présente sur cette aquarelle !


Sorcière dans son cercle
Paul Ranson - 1892
Aquarelle et gouache (collection privée)

Quelle que soit la version, la sorcière dans son cercle n'aime pas être observée !


Deux femmes à leur toilette
Paul Ranson - 1892
Tempera sur toile, Clemens-Sels-Museum

Comme La Baigneuse bleue, de prime abord ces Deux femmes à leur toilette  n'ont pas l'air d'être des sorcières. Néanmoins, le chat est un indice. Quand on y regarde bien, il semble n'être pas le seul félin dans cette image... Y en aurait-il d'autres ?

À propos du chat, j'ai bien l'impression qu'il s'agit du chat de Madame Ranson, celui qui se frotte contre ses jambes dans le tableau de Maurice Denis (voir plus haut).


La Sorcière accoudée
Paul Ranson - 1893
 Lithographie (crédit photo)

Au-dessus de La Sorcière accoudée, cette fois la chauve-souris est là.


Deux jeunes femmes devant la tête d'Orphée dans la forêt
Paul Ranson - 1894
Huile sur toile (notice de Christie's)

La nature aussi est omniprésente dans la peinture de Paul Ranson.
Jamais agressive, toujours bienveillante, elle semble figurer la mère qui lui a tant manqué.


Une Sorcière dans le Marais
Paul Ranson - 1897
Huile sur toile (collection privée)

La Nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles ;

L'homme y passe à travers des forêts de symboles

Qui l'observent avec des regards familiers.

Ranson a sans doute pensé au premier quatrain desCorrespondancesen peignant cette grande sorcière qui chemine dans une nature aux coloris enchanteurs...


*****

Sorcière à la marmite
Paul Ranson, vers 1897-1898
Huile sur carton (notice)

Le hibou et l'araignée de la Sorcière à la marmite complètent la ménagerie de la Sorcière dans son cercle (vue plus haut). Ici, la sorcière est toujours dans son cercle, mais elle ne se préoccupe plus de se savoir observée, ni des animaux qui l'entourent. Elle est absorbée dans une méditation que l'on devine accablante.

La raison de cet accablement vient sans doute des évènements familiaux intervenus dans la vie de Paul Ranson en 1897 et 1898. Après le décès de son père, qui subvenait en partie aux besoins financiers du couple, la grossesse de France est venue ajouter un nouveau sujet d'inquiétude. Paul redoutait inconsciemment que le drame de sa propre naissance se répète et qu'il perde sa femme à la naissance de son enfant. Ce qui, d'une certaine manière, est effectivement arrivé.


Nu à la carcasse
Paul Ranson, 1899
Huile sur toile (collection privée)


Après la naissance de son fils, France n'est plus disponible pour poser, ni pour réaliser des tapisseries. Elle consacre le plus clair de son temps à son enfant. Paul Ranson est amer, son fils lui a ôté sa collaboratrice et sa vie en a été bouleversée. D'autant plus qu'après le déménagement consécutif à la mort du père de Paul, la place manque dans le nouvel appartement, ce qui ne lui permet plus de recevoir ses amis comme avant.

Sorcière avec un chat
Paul Ranson, 1899
Huile sur toile (collection privée)

Dépressif, Paul quitte son foyer pour aller se ressourcer à la campagne, chez son ami, le peintre et sculpteur Georges Lacombe, qui l'accueille dans son Ermitage en Normandie. L'Ermitage de Georges se trouvant en lisière de la forêt d'Écouves, les deux amis vont peindre dans cette forêt, dont le nom signifie balai et dans laquelle les ronds de sorcière ne manquent pas.

Le contact direct avec la nature influence la peinture de Paul, désormais les femmes qu'il représente font comme lui, elles courent les bois.

Étoiles tombées
Paul Ranson, 1900
Pastel (collection privée)

Les séjours de Paul Ranson à l'Ermitage de Marthe et George Lacombe se prolongèrent jusqu'en 1905, date à laquelle Paul se décida à revenir vers sa femme et son fils.

Portrait de Paul Ranson
George Lacombe, vers 1904-1905
Huile sur toile (notice de Christie's)


L'exposition George Lacombe, qui vient de débuter, va être pour moi l'occasion d'en apprendre un peu plus sur l'amitié Ranson-Lacombe. Ce qui me permettra de compléter ce billet, ou peut-être d'en produire un nouveau...


Avant de refermer la porte du grenier, n'oubliez pas de donner votre avis sur la petite devinette à propos de la Vanité aux Souris(au début de ce billet).


Bonnes fêtes de Toussaint
Halloween ou Samain, selon vos croyances :)



© VesperTilia, échos-de-mon-grenier 2012

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