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Laying down the Law (détail) |
Dans le billet précédent, deux échos se sont accordés pour reconnaître une satire de la bourgeoisie dans le Chien dans un fauteuil d'Alfred De Dreux.
À l'issue d'un bon repas suivi d'un digestif, après avoir lu les nouvelles dans Le Figaro (ressuscité depuis peu) le bourgeois repu s'endort dans son fauteuil, son chien à pédigrée couché à ses pieds. Nous allons voir maintenant qu'il y a plusieurs manières d'avoir une vie de Chien.
En peinture, le genre satirique consiste à dénoncer de manière allusive les travers des us et coutumes de la société. Le recours aux animaux, présentés dans des attitudes anthropomorphiques, est le moyen le plus simple pour critiquer sans en avoir l'air. Une méthode que les Égyptiens antiques utilisaient déjà.
Parfois, un ou plusieurs accessoires à usage humain ajoutent à la clarté de l'allusion. Voir ci-dessous l'encrier, le livre et les lunettes.
Dans le tableau ci-dessus, Sir Edwin Landseer a habilement utilisé la ressemblance des frisettes du caniche aux oreilles pendantes avec la perruque d'un juge britannique.
Cette peinture, exposée à la Royal Academy en 1840, a été reconnue à l'époque comme une satire de la Cour de la Chancellerie, une institution judiciaire mise en place pour faire face aux problèmes de droit commun tels que les testaments contestés. Mais la plupart du temps, les ajournements sans fin de la Court of Chanceryépuisaient les finances des parties, tout en enrichissant les avocats. Une incurie mémorable, développée par Charles Dickens dans Bleak House.
Riche et Pauvre, autre tableau satirique d'Alfred De Dreux, apparaît lui aussi comme une critique de la société.
En accord avec son titre, Riche et Pauvre a été composé tout en oppositions. On y voit un élégant lévrier sortant d'un des hôtels particulier en arrière plan, un collier à plaque d'argent au cou et une couverture de velours brodée aux armes de son maître sur le dos. Il lève la patte d'une manière dédaigneuse, comme s'il s’apprêtait à déposer une aumône dans la sébile du gros toutou maussade et mal peigné, faisant la mendicité avec son écuelle dans la gueule, posté contre un mur lépreux auquel il est attaché par une vulgaire corde.
Ayant souvent séjourné en Angleterre, Alfred De Dreux connaissait Sir Edwin Landseer, ou du moins ses œuvres. Edwin Landseer, célèbre peintre animalier de l'époque victorienne, avait tendance à donner une dimension morale à ses tableaux.
D'après la notice concernant Riche et Pauvre De Dreux se serait inspiré de la paire ci-dessus, intitulée Low Life (prolétariat) et High Life (aristocratie), peinte par Landseer en 1829 et conservée à la Tate Gallery.
Curieusement, c'est un bulldog assez semblable à celui de Low life (donc un chien pas vraiment princier !) que Landseer a choisi pour figurer Alexandre le Grand dans sa version animalière de la célèbre rencontre entre le vieux Diogène et le jeune roi de Macédoine. Il s'agit sans doute d'un trait d'esprit de la part de Sir Edwin, étant donné que la mère d’Alexandre le Grand, Olympias, était une princesse molosse.
Quant au chien qui représente Diogène dans sa jarre (et pas dans un tonneau, comme des erreurs de traduction ont pu le faire croire) ce chien ressemble un peu à celui figurant le pauvre mendiant dans Riche et Pauvre d'Alfred De Dreux,
Diogène prônait le bon sens, la simplicité et l'exemple de la nature. Après avoir vu un enfant boire dans sa main, il a brisé l'écuelle qui lui servait également de sébile, boire et mendier pouvant se faire tout simplement avec la main.
Selon son principe de la simplicité en toutes choses, Diogène s'abritait bel et bien dans une jarre, comme un chien dans sa niche. Cependant, l'indépendance d'esprit de Diogène le Cynique, ou Diogène le Chien ainsi que lui-même se surnommait, faisait de lui un être doté d'un caractère à l'opposé de celui d'un chien domestiqué.
Après la version canine de la visite qu'Alexandre fit à Diogène, voici pour mémoire ce fameux épisode dans sa dimension humaine.
Par son mode vie détaché des biens matériels, Diogène dénonçait l’hypocrisie des conventions sociales. Pas étonnant alors qu'il n'ait pas eu peur de répondre « Ôte-toi de mon soleil» à Alexandre le Grand qui lui demandait ce qu'il souhaitait dans l'intention de lui démontrer son pouvoir en exauçant son vœu.
Pour les cyniques, les discours politiques n'ont aucune valeur, ils ne sont que faux-semblants et petits arrangements entre amis pour obtenir le pouvoir et s'enrichir au dépens des autres. Ainsi, Diogène préférait éclairer les chiens errants plutôt que ses concitoyens, comme ce tableau de Gérôme le montre bien.
Que ce soit par la plume ou par le pinceau, de la fable moralisatrice d'antan au dessin de presse contemporain, l'esprit critique des auteurs ne s'est pas privé de mettre les animaux à contribution et continue à le faire afin d'édifier les bonnes gens.
Avant de terminer ce billet, je tiens à remercier chaleureusement Danielle qui m'a judicieusement indiqué le « Riche et Pauvre» d'Alfred De Dreux. C'est la sébile tenue par le chien figurant le Pauvre dans ce tableau qui, en me rappelant l'écuelle de Diogène, m'a permis de rapprocher les peintures satiriques de De Dreux et de Landseer avec le cynisme de Diogène le Chien.
Vous pouvez lire les billets de Danielle, et admirer ses photos, sur Venetiamicio, son blog consacré à Venise. Vous pouvez également la suivre en Provence, ou ailleurs, avec Comme une envie d'escapades.
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Chien dans un fauteuil Alfred De Dreux - 1857 Musée de l'Ermitage, Saint-Petersbourg (notice) |
À l'issue d'un bon repas suivi d'un digestif, après avoir lu les nouvelles dans Le Figaro (ressuscité depuis peu) le bourgeois repu s'endort dans son fauteuil, son chien à pédigrée couché à ses pieds. Nous allons voir maintenant qu'il y a plusieurs manières d'avoir une vie de Chien.
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En peinture, le genre satirique consiste à dénoncer de manière allusive les travers des us et coutumes de la société. Le recours aux animaux, présentés dans des attitudes anthropomorphiques, est le moyen le plus simple pour critiquer sans en avoir l'air. Une méthode que les Égyptiens antiques utilisaient déjà.
Parfois, un ou plusieurs accessoires à usage humain ajoutent à la clarté de l'allusion. Voir ci-dessous l'encrier, le livre et les lunettes.
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Laying down the Law, or Trial by Jury (Procès avec Jury) Sir Edwin Landseer - 1840 Chatsworth House, Derbyshire, Royaume-Uni (lire la notice) |
Dans le tableau ci-dessus, Sir Edwin Landseer a habilement utilisé la ressemblance des frisettes du caniche aux oreilles pendantes avec la perruque d'un juge britannique.
Cette peinture, exposée à la Royal Academy en 1840, a été reconnue à l'époque comme une satire de la Cour de la Chancellerie, une institution judiciaire mise en place pour faire face aux problèmes de droit commun tels que les testaments contestés. Mais la plupart du temps, les ajournements sans fin de la Court of Chanceryépuisaient les finances des parties, tout en enrichissant les avocats. Une incurie mémorable, développée par Charles Dickens dans Bleak House.
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Riche et Pauvre Alfred De Dreux - 1845 Galerie Jean-François Heim, Paris (lire la notice) |
Riche et Pauvre, autre tableau satirique d'Alfred De Dreux, apparaît lui aussi comme une critique de la société.
En accord avec son titre, Riche et Pauvre a été composé tout en oppositions. On y voit un élégant lévrier sortant d'un des hôtels particulier en arrière plan, un collier à plaque d'argent au cou et une couverture de velours brodée aux armes de son maître sur le dos. Il lève la patte d'une manière dédaigneuse, comme s'il s’apprêtait à déposer une aumône dans la sébile du gros toutou maussade et mal peigné, faisant la mendicité avec son écuelle dans la gueule, posté contre un mur lépreux auquel il est attaché par une vulgaire corde.
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Low Life (lire la notice) |
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High Life (lire la notice) |
Ayant souvent séjourné en Angleterre, Alfred De Dreux connaissait Sir Edwin Landseer, ou du moins ses œuvres. Edwin Landseer, célèbre peintre animalier de l'époque victorienne, avait tendance à donner une dimension morale à ses tableaux.
D'après la notice concernant Riche et Pauvre De Dreux se serait inspiré de la paire ci-dessus, intitulée Low Life (prolétariat) et High Life (aristocratie), peinte par Landseer en 1829 et conservée à la Tate Gallery.
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Alexander and Diogenes Sir Edwin Landseer - 1840 Tate Gallery, Londres (notice du musée) |
Curieusement, c'est un bulldog assez semblable à celui de Low life (donc un chien pas vraiment princier !) que Landseer a choisi pour figurer Alexandre le Grand dans sa version animalière de la célèbre rencontre entre le vieux Diogène et le jeune roi de Macédoine. Il s'agit sans doute d'un trait d'esprit de la part de Sir Edwin, étant donné que la mère d’Alexandre le Grand, Olympias, était une princesse molosse.
Quant au chien qui représente Diogène dans sa jarre (et pas dans un tonneau, comme des erreurs de traduction ont pu le faire croire) ce chien ressemble un peu à celui figurant le pauvre mendiant dans Riche et Pauvre d'Alfred De Dreux,
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Diogène brisant son écuelle Étienne Jeaurat - 1747 Musée du Louvre (notice) |
Diogène prônait le bon sens, la simplicité et l'exemple de la nature. Après avoir vu un enfant boire dans sa main, il a brisé l'écuelle qui lui servait également de sébile, boire et mendier pouvant se faire tout simplement avec la main.
Selon son principe de la simplicité en toutes choses, Diogène s'abritait bel et bien dans une jarre, comme un chien dans sa niche. Cependant, l'indépendance d'esprit de Diogène le Cynique, ou Diogène le Chien ainsi que lui-même se surnommait, faisait de lui un être doté d'un caractère à l'opposé de celui d'un chien domestiqué.
Après la version canine de la visite qu'Alexandre fit à Diogène, voici pour mémoire ce fameux épisode dans sa dimension humaine.
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Alexandre et Diogène Jacques Gamelin - 1763 Musée des Beaux-Arts, Carcassonne (lire la notice) |
Par son mode vie détaché des biens matériels, Diogène dénonçait l’hypocrisie des conventions sociales. Pas étonnant alors qu'il n'ait pas eu peur de répondre « Ôte-toi de mon soleil» à Alexandre le Grand qui lui demandait ce qu'il souhaitait dans l'intention de lui démontrer son pouvoir en exauçant son vœu.
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Diogène Jean-Léon Gérôme - 1860 Walters Art Museum, Baltimore, USA (lire la notice) |
Pour les cyniques, les discours politiques n'ont aucune valeur, ils ne sont que faux-semblants et petits arrangements entre amis pour obtenir le pouvoir et s'enrichir au dépens des autres. Ainsi, Diogène préférait éclairer les chiens errants plutôt que ses concitoyens, comme ce tableau de Gérôme le montre bien.
Que ce soit par la plume ou par le pinceau, de la fable moralisatrice d'antan au dessin de presse contemporain, l'esprit critique des auteurs ne s'est pas privé de mettre les animaux à contribution et continue à le faire afin d'édifier les bonnes gens.
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Avant de terminer ce billet, je tiens à remercier chaleureusement Danielle qui m'a judicieusement indiqué le « Riche et Pauvre» d'Alfred De Dreux. C'est la sébile tenue par le chien figurant le Pauvre dans ce tableau qui, en me rappelant l'écuelle de Diogène, m'a permis de rapprocher les peintures satiriques de De Dreux et de Landseer avec le cynisme de Diogène le Chien.
Vous pouvez lire les billets de Danielle, et admirer ses photos, sur Venetiamicio, son blog consacré à Venise. Vous pouvez également la suivre en Provence, ou ailleurs, avec Comme une envie d'escapades.
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