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D'Ingres à Fortuny, les belles alanguies

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Naissance de Vénus (détail)


Dernièrement, il a été question d'une œuvre d'Alexandre Cabanel, la Naissance de Vénus, qui eut la faveur de Napoléon III lors de sa présentation au Salon de 1863.

Dans mon précédent billet, j'avais noté au sujet de ce tableau ce qu'en dit la notice du musée d'Orsay« Cabanel mêle les références à Ingres et à la peinture du XVIIIe siècle». Tout récemment, j'ai trouvé par hasard à quoi cette notice fait allusion en évoquant des références à Ingres.

Voici donc une nouvelle "suite" de belles alanguies, non exempte de mystères et de surprises...

Odalisque dormant
Jean-Auguste-Dominique Ingres - vers 1820
Victoria and Albert Museum, Londres

Cette Odalisque dormant serait une reprise d'une étude d'un autre tableau d'Ingres, La Dormeuse de Naples, disparu en 1815. Inconsolable de la perte de sa Dormeuse, Ingres aurait retravaillé une de ses études pour en faire une peinture achevée capable de perpétuer le souvenir du tableau disparu.

La Dormeuse de Naples appartenait à Caroline Murat et elle a été perdue lorsque la reine de Naples a dû l'abandonner dans sa fuite lors de la chute du royaume après la défaite de son époux par les Autrichiens. Le destin de La Dormeuse de Naplesd'Ingres demeure depuis lors une énigme et ce tableau a fait l'objet d'une passionnante enquête en 2007.  

Dans la notice du Victoria and Albert Museum, il est dit qu'Ingres a repris la position du corps de l'Odalisque dormant, non seulement pour L'Odalisque à l'esclave, mais aussi pour Jupiter et Antiope.

Jupiter et Antiope
Ingres - 1851
Musée d'Orsay (notice)

La notice du Victoria and Albert Museum ajoute que les odalisques d'Ingres ont clairement influencé Cabanel pour sa Naissance de Vénus. Chose évidente dans L'Odalisque à l'esclave, que nous allons voir tout de suite après.

Naissance de Vénus
Alexandre Cabanel - 1863
Musée d'Orsay (notice)


Ingres a décliné L'Odalisque à l'esclave en plusieurs versions au fil du temps. Après un magnifique dessin préalable en 1839, il en a réalisé une première peinture en 1840, suivie d'une réplique avec changement d'arrière plan en 1842, et pour finir un autre dessin en 1852.

L'Odalisque à l'esclave
Ingres - 1839
The Morgan Library and Museum, New-York (notice et zoom)

L'œuvre ci-dessus est un dessin admirable qu'Ingres a effectué en employant la mine de plomb, la pierre noire et la craie blanche, avec des lavis gris et brun.

Un détail de ce dessin m'a beaucoup intriguée. J'ai tout d'abord pris la forme claire mais indistincte, située à gauche derrière la balustrade, pour une sorte d'apparition fantomatique en relation avec les légendes orientales, l'eunuque me paraissant la regarder avec un certain effroi.

L'Odalisque à l'esclave (détail)
cliquer pour agrandir l'image

En l'observant de plus prés, il me semble voir une fontaine entourée d'une vapeur que j'imagine parfumée à la rose, sans aucune certitude cependant. Qu'en pensez-vous ?...


L'Odalisque à l'esclave
Ingres - 1840
Fogg Art Museum, Cambridge - Massachusetts (notice et zoom)

La peinture de l'odalisque et de l'esclave musicienne est aussi belle que le dessin. Ingres y a apporté quelques modifications, telles les fleurs sur la robe de l'eunuque mais pas seulement. En voyez vous une autre ?


L'Odalisque à l'esclave
Ingres (et Paul Flandrin pour le jardin) - 1842
Walters Art Museum, Baltimore - Maryland (notice et zoom)

L'année durant laquelle il a peint la réplique de L'Odalisque à l'esclave, Ingres s"était installé avec ses assistants au château de Dampierre pour y peindre la fresque de L'Âge d'Or commandée par le duc de Luynes pour orner une galerie du château. Le décor d'arrière-plan de la seconde version de L'Odalisque à l'esclave est réputé avoir été inspiré par le parc du  Château de Dampierre.

Entre la balustrade et le jardin, subsiste une trace de la forme fantomatique qui m'a tant intriguée dans le dessin et la version de 1939 de ce tableau. Cette fois cela ressemble bien au bassin d'une fontaine d'intérieur... En dehors du parc et de la fontaine, avez vous repéré les deux principales différences entre cette version et la précédente ?


L'Odalisque à l'esclave
Ingres - 1858
Musée du Louvre (notice)

Ce dernier dessin de L'Odalisque à l'esclave  montre l'attachement d'Ingres à son sujet. Jusqu'au bout de sa vie Ingres aura eu un faible pour l'orientalisme. Le Bain Turc, qu'il réalisa à l'âge de quatre-vingts ans, en témoigne.

Quinze ans après le décès d'Ingres, Louis Courtat, un élève de Cabanel (toujours lui !) peint une Odalisque fortement inspiré à la fois de L'Odalisque à l'esclave d'Ingres et  de la Naissance de Vénus de son professeur. La seule reproduction disponible sur la toile n'est hélas pas fameuse, je pense néanmoins que ce tableau mérite d'être montré, ne serait-ce qu'à titre informatif.

Odalisque
Louis Courtat - 1882
Musée des Ursulines, Mâcon (lire la notice)

Vingt ans avant celle de Louis Courtat, dans la série des odalisque inspirées par Ingres, il y eut aussi l'odalisque en chaussettes de monsieur Courbet.

Femme nue couchée
Gustave Courbet - 1862
collection privée, Londres

Peu nombreux sont sans doute ceux qui ont vu, de leurs yeux vu, ce nu de Courbet. C'est encore une histoire de tableau disparu durant plusieurs années. Contrairement à La Dormeuse de Naples d'Ingres, la Femme nue couchée de Courbet a été retrouvée après une absence de soixante-cinq ans. En 2007 elle a été exposée brièvement au Grand Palais et pfuiiit ! elle est rentrée illico chez son propriétaire. Pour lire le récit de son aventure, cliquer ici.


En 1862, la même année que la Femme nue couchée de Courbet, à la suite de son séjour au Maroc le peintre catalan Marià Fortuny (Maria Fortuny y Marsal, dit Mariano Fortuny) réalise une Odalisque qui succède à La Odalisca qu'il avait peinte l'année précédente.

La Odalisca
Marià Fortuny - 1861
Museu Nacional d'Art de Catalunya, Barcelone (notice)

La Odalisca  de Fortuny a très certainement influencé Eduardo Rosales Gallina pour sa Mujer desnuda dormida, ci-dessous

Mujer desnuda dormida
Eduardo Rosales Gallina - 1865-70

Musée National des Beaux-Arts, Buenos-Aires (notice)


Visiblement inspirée d'Ingres, l'Odalisque de Marià Fortuny de 1862 semble préfigurer la Naissance de Vénus  peinte par Cabanel l'année suivante.

Odalisque
Marià Fortuny - 1862
collection privée

Ci-dessous, un nu féminin qui découle en droite ligne de l'odalisque paternelle et de Cabanel !


Estudi de nu femení
Mariano Fortuny y Mardazo - 1888
Palazzo Fortuny, Venise

Fils de Marià Fortuny , Mariano Fortuny y Mardazo (1871-1949), le célèbre couturier vénitien né à Grenade, fut un artiste polyvalent de génie. Successivement peintre, puis décorateur et scénographe au théâtre, ce qui l'a amené a créer des tissus pour les costumes, il finit par produire des robes qui auront séduit, entre autres, l'auteur d'À la recherche du temps perdu qui en a beaucoup parlé dans son œuvre maîtresse. Le talent de Mariano Fortuny y Mardazo ne se limitait pas à la peinture et aux textiles, il fut également architecte d'intérieur pour des demeures particulières et des musées.

Un exemple de robe citée par Proust sur le site de la BNF et une biographie sur le site du Palazzo Fortuny. 

Exposition Mariano Fortuny y Madrazo à la Villa Badoer en 2011


Pour terminer, revenons un instant à  L'Odalisque à l'esclave d'Ingres, à  l'Odalisque de Louis Courtat et à La Odalisca de Marià Fortuny. Sauriez- vous dire quel est l'instrument de musique tenus par l'esclave et d'Ingres et de Courtat et par le bédouin de Fortuny ? Sans doute que non, tout comme moi avant de me pencher sur la question. Il s'agit du saz, instrument traditionnel turc.





Différentes sortes de saz
(crédit illustration)

En version originale :


à parti de 2:00 le jeu devient plus animé, vraiment intéressant


Bonne écoute et bonne fin de semaine à toutes et à tous


EDIT du 4 octobre

Demain soir sera publié ci-dessous un récapitulatif des différences entre les différentes versions de L'Odalisque à l'esclave.

Différences entre le dessin et les tableaux

En dehors de la robe de l'eunuque et de l'arrière-plan modifiés, dont j'ai parlé dans le billet, des différences entre le dessin et les deux tableaux ont été trouvées :

parNathanaëlle

entre le dessin et le tableau de 1842
L'odalisque a la hanche et la cuisse droite plus découvertes sur le tableau que sur le dessin.
Le bijou semble plus épais. Ce sont des perles sur le tableau.
entre le tableau de 1840 et celui de 1842Le voile sur le pied, il est différent. (vu en 1er par Hazló)
le nombril légèrement recentré


parCathy B

entre le tableau de 1842 et celui de 1840
Mais par quoi donc la belle dame a-t-elle remplacé ses babouches ? Un samovar ?


parChristineeeee

Je dirais aussi que le tapis n'est plus le même
... les chaussons à talons et l'élément en cuivre (déjà repéré par Cathy B)
Le collier fin et le collier de perles et les boucles d'oreilles assorties (déjà trouvé par Nathanaëlle)
7 balustres dans le 1er tableau (derrière le bras gauche de la musicienne)... 5 balustres dans le 2e tableau


parHazló

La balustrade raccourcie (vu par  Christineeeee)
le brûle-parfum (...) remplacé par des babouches (repéré par Cathy B)
Les ornements et la couleur du tapis (repéré par Christineeeee)
collier tout simple est remplacé par un collier de perles (trouvé par Nathanaëlle)
Le voile drapé sur son pied droit dépasse en direction de la musicienne (Nathanaëlle)
il n'y a plus la grande fontaine
la boucle d'oreille! une perle rouge est accrochée à son oreille droite (la musicienne)


parDanielle

le collier n'est pas le même (déjà trouvé par Nathanaëlle)


Pour récapituler, voici les principales différences

entre le dessin de 1839 et le tableau de 1840 :

- la robe de l'eunuque (unie dans le dessin, à fleurs dans le tableau)
- la balustrade devant le pilier (5 balustres dans le dessin, 7 dans le tableau)
- le voile sur le pied droit de l'odalisque (plus étalé dans le dessin que dans le tableau)
- la partie visible du tissu à côté de la couronne est plus importante dans le dessin que dans le tableau


entre le tableau de 1840 et sa version de 1842 :

1 - l'arrière plan (un mur ferme la pièce en 1840, un jardin le remplace en 1842)
2 - la fontaine derrière la balustrade ne comporte plus qu'un seul jet en 1842 (elle en avait au moins huit en 1840, mais on distingue mieux son bassin).
3 - différence du décor mural derrière l'eunuque, juste au-dessus de la balustrade (la rosace quadrilobée a été remplacée par des fleurs en 1842)
4 - le tapis du premier plan (motifs géométriques en 1840, feuillages en 1842 et la couleur de fond est différente)
5 - la robe de l'eunuque (à fleurs en 1840, à rayures dans en 1842)
6 - la balustrade (7 balustres en 1840, retour à 5 en 1842 comme sur le dessin initial)
7 - le brûle-parfum de 1840, remplacé par des babouches en 1842
8 - la chaînette au cou de l'odalisque, remplacée par un collier de perles en 1842
9 - le voile sur le pied droit de l'odalisque (moins étalé dans le tableau de 1840, retour à la position initiale du dessin en 1842)
10 - la hanche droite et le ventre de l'odalisque légèrement plus dénudés en 1842
11 - nombril de l'odalisque aligné différemment par rapport au sein gauche (légèrement plus bas en 1842)
12 - ajout d'un pendant à l'oreille de la musicienne et d'une mèche dépassant de son turban en 1842
13 - position différente du gros orteil de la musicienne (moins courbé en 1842)

Un grand merci aux participant(e)s qui ont contribué à établir cette liste


©VesperTilia, échos-de-mon-grenier 2012

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