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Le mystère Charlez - 1

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L'auteur de ce tableau est une véritable énigme


Autrement dit, un mystère qui ne pouvait qu’exciter mon insatiable curiosité ! Ce que Claude avait bien dans l'idée en m'envoyant un courriel (il y a de ça déjà 7 mois !) pour me mettre sur la piste de ce fameux Charlez. Un tableau figurant alors en tête de gondole chez Miss Yves, qui le compare à un Caillebotte. Ce en quoi je suis plus ou moins d'accord avec elle, nous verrons pourquoi en conclusion de mon enquête.


CHARLEZ


La maîtrise avec laquelle sont reproduits les monuments de l'arrière-plan (clocher de cathédrale et beffroi) ainsi que les reflets dans la rivière, démontre le talent de Charlez. Et pourtant, ce peintre demeure inconnu, pas le moindre élément biographique le concernant n'apparaît dans les résultats de recherches sur internet.

Seuls son nom et le titre de son tableau sontrépertoriés dans la base Joconde :



La notice de la base Joconde ci-dessus nous apprend que ce tableau, peint par un peintre dont on ne sait rien, ou presque, est conservé à Douai (Nord) dans le musée de la Chartreuse.

Avant d'être acheté par le Musée de la Chartreuse (en
 1907 ?) ce tableau appartenait au peintre douaisienHenri Duhem (1860-1941).



Charlez
(M.) est également mentionné deux fois dans la base "Arcade" des Archives Nationales, voir les notices ci-dessus et ci-dessous.

Une fois pour l'achat d'un dessin en 1909 : transaction inconnue, aboutissement inconnu...




 
Une autre fois, un dossier des Archives Nationales mentionne achat ; attribution (toujours en 1909) d'un dessin représentant une Tête de femme, au nom de  Charlez (M.). Prix de l'œuvre : 50 Fr.  Ce dossier a été enregistré au Dépôt des Marbres.

Petit résumé,
cliquer ici pour plus d'infos sur les Archives du Dépôt des Marbres


Il n'est donc pas étonnant de trouver dans les cartons du Dépôt des Marbres des dossiers incomplets, tels que celui de Charlez.


Dans ce document des Archives Nationales, intitulé "Travaux d'art, musées et expositions. 1er et 2e volumes, (XIXe-XXe siècles) Inventaire semi-analytique", on retrouve (page 243) le nom de Charlez accolé à la date du 10 juillet 1909.
Cette date et les trois notices vues plus haut sont les
seules informations que l'on obtient à propos de ce peintre en faisant une recherche sur internet.




Alors, le Charlez signataire du tableau est-il bien le M. Charlez figurant dans les deux dossiers
des Archives Nationales ?... C'est ce que je vais tenter d'établir en commençant par le sujet du tableau.


LIEUX & TEMPS


L'endroit représenté sur ce tableau énigmatique est connu de façon certaine. Il est situé dans la ville de Douai. La ville où se trouve le musée dans lequel ce tableau est actuellement conservé. Celle qui est également la ville natale d'Henri Duhem, le peintre douaisien qui était propriétaire du tableau avant qu'il ne le lègue au musée de la Chartreuse.

En outre, Douaiest la localisation indiquée dans la base Arcade des Archives Nationales pour l'attribution à Charlezdu dessin d'une Tête de femme.


Le Canal à l'Entrée des Eaux
Charlez
- date à définir
Musée de la Chartreuse de Douai
vue partielle


Dans la notice correspondant au tableau de Charlez (sur le site des Musées des Hauts-de-France) le titre indiqué est Le canalà l'Entrée des Eaux. Notons au passage que le nom du peintre y est suivi d'un point d'interrogation : CHARLEZ ? (peintre).


À Douai, les habitants emploient l'expression "le canal" pour parler de la partie de la Scarpe traversant la ville. Et L'Entrée des Eaux désigne l'endroit où le cours de la Scarpe pénètre dans la ville et à partir duquel il est canalisé.
Attention à ne pas confondre le canal (autrement dit la Scarpe canalisée traversant la ville) avec le canal de dérivation qui, depuis 1895, détourne la navigation marchande du centre ville de Douai en le contournant. Plus d'information dans cet article.


La photo de cette carte postale a été prise vers 1906
Les cheminées d'usines
en train de fumer  sont un indice important
pour la datation du tableau.



La carte postale ci-dessus apparaît dans le forum du site CPArama, sur sa page "Douai, quais et ponts de la Scarpe". Au dessous, une note précise : La carte ci-dessus représente ce que l'on appelle "l'entrée des eaux", avec lapasserelle,détruitepuisreconstruitequasimentàl'identique. Au fond, on aperçoit, à droite le beffroi, et à gauche l'église Saint-Pierre.

L'information concernant la destruction de la passerelle est primordiale pour tenter de définir le laps de temps durant lequel le tableau signé Charlez a été peint.

Nous allons voir ce point en détail.



LA  PASSERELLE


Avant de parler de la passerelle, regardons le tableau de Charlez et comparons le attentivement  avec la carte postale que j'ai placée au-dessous pour montrer le même panorama de l'Entrée des Eaux photographié en 1895.



Pour voir la carte postale en entier sur le site des Archives Municipales de Douai
cliquer ici


Ci-dessus, deux éléments de la carte postale de 1895(lire les observations au bas de la notice des Archives Municipales) manquent dans le tableau de Charlezla passerelle, dont on ne voit clairement que l'escalier côté rive gauche, et la cheminée d'usine dépassant des toits de la rive gauche. L'escalier de la passerelle rive droite est en partie occulté par le parasol et les peupliers peints par Charlez.

Que peut-on déduire de l’absence de ces deux éléments sur le tableau de Charlez
(passerelle et cheminées d'usine)alors que par ailleurs Charlez reproduit fidèlement les maisons et les monuments de ce paysage (clocher de l'église Saint-Pierre et beffroi)?...

Il paraît vraisemblable que la date"3e quart du 19e siècle" indiquée dans la notice de la base Joconde concernant le tableau de Charlez  est erronée, puisque la passerelle,dont seuls les escaliers sont visibles sur le tableau, a été créée entre 1894 et 1895et qu'elle a été détruite en1918.




Date de construction de la 1ère passerelle de l'Entrée des Eaux : entre 1894 et 1895
(cliquer sur l'image pour lire le texte plus nettement)



Après son inauguration en 1895, la passerelle de l'Entrée des Eaux a été détruite (puis reconstruite)à deux reprises : en 1918 et en 1944. À chaque fois, ce sont les  guerres (première et seconde guerre mondiale) qui ont causé sa destruction.



1918
1ère destruction de la passerelle de l'Entrée des Eaux




En 1918, après quatre ans d'occupation de la ville,avant de se retirer les allemands ontpillé et saccagé la ville de Douai,incendiant les maisons, ruinant les usines et démolissant tous les ponts et passerelles.



Grande péniche sur la rivière (étude)
Henri Duhem - Mai-Juin 1910
Musée de la Chartreuse de Douai



Ainsi, à l’automne 1921 - après son étude de Mai-Juin 1910 représentant une péniche devant la passerelle de l'Entrée des Eaux (ci-dessus) - lorsque Henri Duhem peintune nouvelle fois le site de L'entrée des Eaux, seuls les escaliers de la passerelle sont visibles sur son tableau, comme on peut le constater ci-dessous :


Automne (personnages près d'un canal)
Henri Duhem - Septembre 1921
Collection privée : lire la notice


Les pierres qui figurent au bord de l'eau (au premier plan à droite du tableau, ci-dessus) rappellent les blocs entre lesquels le peintre au travail deCharlez  a coincé son parasol...
 
À propos du peintre représenté par Charlez, il se pourrait  que ce soit le douaisien Henri Duhem, qui a peint de nombreuses  vues de sa ville natale. Hypothèse que nous verrons un peu plus loin.

Pour l'instant, on peut se demander si les pierres au bord du canal, représentées à la fois par Charlez et par Henri  Duhem, ne seraient pas les derniers vestiges du pont de l'Entrée des Eaux, celui qui se trouvait là avant que les allemands ne le fassent sauter en abandonnant la ville en 1918.. Voir les deux cartes postales ci-dessous :


L'extrémité du pont de l'Entrée des Eaux
entre 1900 et 1918




1918 - Le pont de l'Entrée des Eaux en train d'être démoli par les allemands



Même absence de la passerelle et mêmes pierres au bord de la Scarpe, à l'endroit où se trouvait le pont démoli par les allemands au moment de leur départ : il semblerait que le tableau de Charlez
(dont on ignore la date) ait été peint à la même période que de celui d'Henri Duhem en 1921...



LE  TABLEAU


Le tableau signé Charlez n'ayant vraisemblablement pas pu être peint avant 1918 (en raison de la disparition de la passerelle et des cheminées d'usine, comme nous l'avons vu plus haut) la date de 1907 pour son legs au musée de la Chartreuse (date indiquée dans la notice de la base Joconde) est à revoir.

Il s'agit certainement d'une erreur de frappe (1907 au lieu de 1937), d'autant plus que Henri Duhem a effectivement fait don de plusieurs dizaines de ses tableaux 
au musée de la Chartreuse en 1937.

L'hypothèse la plus plausible pour dater ce tableau serait donc une année postérieure à 1921 (date indiquée au dos du tableau d'Henri Duhem) et antérieure à la reconstruction de la passerelle, soit aux alentours de 1923



LE PEINTRE DANS LE TABLEAU


Chapeau penché à droite, barbe, redingote foncée, col blanc...
Henri Duhem  (photo à gauche) serait-il le peintre vu de dos
représenté par Charlez sur son tableau ?



Une bonne partie de l'œuvre d'Henri Duhem représente des quartiers de sa ville natale et certaines de ses peintures permettent de reconstituer le Douai d'avant le saccage perpétré par les allemands au moment leur départ, en octobre 1918, au terme de quatre année d'occupation de la ville.




Pour qui connait l'impact de la première guerre mondiale dans la vie du peintre Henri Duhem,en deuil à la fois de son fils Rémy, tué au front en 1915 et de Marie son épouse, morte de chagrin en  juillet 1918, des deuils terribles auxquels se sont ajouté les blessures psychiques causées par la disparition d'édifices de sa ville définitivement anéantis, on peut voir là de quoi étayer l'hypothèse que le peintre représenté de dos par Charlez puisse être Henri Duhem occupé à peindre, en 1921, l'absence de la passerelle, cette véritable métaphore du vide sentimental creusé dans sa vie par la guerre et les conséquences douloureuses de l'occupation allemande...




Nous verrons prochainement qui était le peintre Henri Duhem et les probabilités d'un lien entre Charlez et lui.



Le Canal à l'Entrée des Eaux
Charlez
ancienne collection d'Henri Duhem
Musée de la Chartreuse, Douai
source


 
Fin de cette première partie de mon enquête, qui est loin d'être terminée.

Le troisième et dernier opus de mon enquête au long cours exposera mes découvertes sur l'identité de Charlez, avec notamment sa fiche militaire, ainsi que le début de sa biographie (de 0 à 36 ans) que je suis parvenue à reconstituer.




⊱⊰⊱⊰






©VesperTilia, échos-de-mon-grenier 2021


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